Dans le même temps, ceux de Bessé, du Vieux-Marché, du Bourg Saint-Jacques, du Traîneau, de Parilly, de Rivière, des Roches Saint-Paul, du Vau-Breton, de Pontille, de Bréhémont, du Pont de Clam, de Cravant, de Grandmont, des Bourdes, de Lavillaumer, de Huismes, de Segré, d'Ussé, de Saint-Louand, de Panzoult, des Coudreaux, de Véron, de Coulaine, de Chouzé, de Varennes, de Bourgueil, de L'Ile-Bouchard, du Croulay, de Narcay, de Candes, de Montsoreau et d'autres localités voisines envoyèrent des délégations auprès de Grandgousier pour lui dire qu'ils étaient avertis des torts que lui causait Picrochole et, qu'en vertu de leur ancienne alliance, ils lui offraient tout ce qui était en leur pouvoir, tant en hommes qu'en argent et autres fournitures de guerre.
Le total de leur argent s'élevait, d'après leurs comptes, à cent trente-quatre millions deux écus et demi d'or. Les troupes comptaient quinze mille hommes d'armes, trente-deux mille chevau-légers, quatre-vingt-neuf mille arquebusiers, cent quarante mille mercenaires, onze mille deux cents canons, doubles canons, basilics et spiroles, quarante-sept mille fantassins ; le tout avec solde et ravitaillement pour six mois et quatre jours. Gargantua ne refusa ni n'accepta totalement cette offre; mais il leur dit, en les remerciant chaleureusement, qu'il conduirait cette guerre de telle façon qu'il ne serait pas nécessaire de mobiliser autant d'honnêtes gens. Il dépêcha seulement des émissaires pour ramener en bon ordre les légions qu'il entretenait d'ordinaire en ses places de la Devinière, de Chavigny, de Gravot et de Quinquenays, qui comptaient deux mille cinq cents hommes d'armes, soixante-six mille hommes de pied, vingt-six mille arquebusiers, deux cents grosses pièces d'artillerie, vingt-deux mille fantassins et six mille chevau-légers, tous par compagnies, si bien pourvues d'intendants, avec leurs vivandiers, leurs maréchaux, leurs armuriers et les autres personnes indispensables au train de guerre, si bien instruites en l'art militaire, si bien équipées, reconnaissant et suivant si bien leurs enseignes, si promptes à comprendre leurs capitaines et à leur obéir, si vives à la course, si rudes à l'assaut, si prudentes à la progression, qu'elles ressemblaient plus à une harmonie d'orgue ou à un mécanisme d'horlogerie qu'à une armée ou à un corps de troupe. À son arrivée, Toucquedillon se présenta à Picrochole et lui raconta en détail ce qu'il avait fait et vu. À la fin il lui conseillait fortement de conclure un arrangement avec Grandgousier. Il avait trouvé que c'était le plus grand homme de bien du monde, ajoutant qu'il n'y avait ni profit ni raison à malmener ainsi ses voisins dont ils n'avaient jamais retiré que du bien, essentiellement, et que jamais ils ne sortiraient de cette aventure qu'à leur perte et pour leur malheur, car la puissance de Picrochole n'était pas telle que Grandgousier ne les pût aisément massacrer.
Il n'avait pas achevé ces paroles que Hastiveau dit en haussant la voix :
« Il est bien malheureux, le prince que servent de telles gens, si faciles à corrompre. Je comprends que Toucquedillon est de ceux-ci, car je vois que son attitude est tellement changée qu'il se serait volontiers joint à nos ennemis pour lutter contre nous et nous trahir, s'ils avaient voulu le retenir. Mais de même que la vertu est louée et estimée de tous, tant amis qu'ennemis, de même la perfidie est vite reconnue et manifeste; et à supposer que les ennemis en usent à leur profit, ils ont toujours en horreur les perfides et les traîtres. »
À ces mots, Toucquedillon hors de lui tira son épée et en transperça Hastiveau un peu au-dessus de la mamelle gauche; il en mourut sur-le-champ. Retirant son arme Toucquedillon dit avec assurance :
« Qu'ainsi périsse qui blâmera de loyaux serviteurs ! »
Picrochole entra subitement en fureur et dit, en voyant l'épée et son fourreau ainsi diaprés :
« T'avait-on donné cette arme pour en ma présence tuer diaboliquement mon si bon ami Hastiveau ? »
Alors, il ordonna à ses archers de le mettre en pièces, ce qui fut fait dans l'instant, avec une telle sauvagerie que la salle en était toute pavée de sang. Ensuite il fit inhumer dignement le corps de Hastiveau et jeter celui de Toucquedillon dans la vallée, par-dessus les murailles.
La nouvelle de ces atrocités se répandit dans toute l'armée et plusieurs commencèrent à murmurer contre Picrochole, si bien que Grippenault lui dit :
« Seigneur, je ne sais comment se terminera cette affaire. Le moral de vos gens me semble mal assuré. Ils observent qu'ici nous sommes mal approvisionnés en vivres et déjà fortement diminués en nombre à la suite de deux ou trois sorties. De plus quantité de gens viennent prêter main-forte à vos ennemis. Si jamais nous sommes assiégés, je ne vois pas comment ce ne pourrait être pour nous notre perte totale.
– Merde ! merde ! dit Picrochole, vous êtes comme les anguilles de Melun : vous criez avant qu'on vous écorche. Laissez-les seulement arriver. »
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